Terrence Malick

 

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FILMS

- La Balade Sauvage (1973)
- Les Moissons du Ciel (1978)
- La Ligne Rouge (1998)
- Le Nouveau Monde (2005)
- The Tree of Life (2011) - Critique


 

 

En plus de quarante ans de carrière et seulement quatre long-métrages, Terrence Malick s'est taillé un statut de véritable artiste et de réalisateur incontournable auprès de la profession et du public. Pourquoi un tel engouement ? Tout simplement parce que chacun de ses films est un vrai beau voyage de cinéma. Alors que trop de projets qui finissent sur nos écrans souffrent d'un manque flagrant d'ambition et de maturité, Malick nous offre à chaque fois une œuvre personnelle et profonde qu'il a murit pendant de longues années. Pour cet ancien professeur de philosophie et journaliste freelance, le cinéma est une affaire d'art et d'élévation. Pas question de sacrifier son propos aux conventions commerciales. On peut lui reprocher parfois un trop grand lyrisme dans ses visions de la nature et ses longues contemplations, mais l'équilibre qu'il parvient à établir dans ses films entre le drame et le fond philosophique est toujours passionnant.

 

Son premier long-métrage, La Balade Sauvage, qu'il tourne en 1973, s'inspire librement d'un fait divers sanglant qui a défrayé la chronique aux États-Unis dans les années 50 : la cavale d'un couple qui s'aime à la folie et sème la mort sur son passage. Pour incarner les deux tourtereaux, Malick fait appel à Martin Sheen et Sissy Spacek. Sheen enfile les bottes de Kit Carruthers, un jeune voyou qui traine sa dégaine de James Dean de petits boulots en petits boulots et qui tombe sous le charme de Holly Sargis, une adolescente à la chevelure rousse qui se sent enfermée par son père et qui rêve d'aventure. Après s'être débarrassé du père, les deux amants fuient à travers les États-unis pour trouver un endroit où vivre leur idylle en paix. Jusqu'à ce que la police les rattrape et que la course en avant reprenne, amenant avec elle son lot de nouveaux cadavres.

 

Comme Bonnie et Clyde, Sailor et Lula ou encore Mickey et Malory Knox, les personnages de Tueurs nés, Kit et Holly forment l'un de ces couples à la dérive que le cinéma aime magnifier. Le road-movie criminel permet d'explorer les motivations de la violence et de l'immoralité chez l'homme. Pour satisfaire ses désirs, Kit ne recule devant rien. Véritable sociopathe, il tue pour protéger sa fuite mais ne prend pas particulièrement de plaisir à ça. Ce qui le fait avancer c'est son amour pour Holly et son refus des règles et des lois. Mais malgré les actes cruels qu'il commet, il n'en reste pas moins attachant et lucide à sa façon.

 

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Le cas d'Holly est aussi complexe, et c'est à elle que Malick confie la narration en voix off, un procédé récurent chez le réalisateur qui lui permet de dévoiler au public les pensées intimes de ses personnages. Holly rayonne d'une sorte d'innocence apathique qui lui donne une grâce particulière. Ni enthousiaste, ni forcée, elle suit son Jules sans trop se poser de question, profitant de l'ivresse de la fuite pour s'inventer une passion romanesque et fermer les yeux sur la brutalité de son compagnon. Alors que leur situation semble précaire et vouée à mal finir, le couple s'invente sans arrières pensées une nouvelle vie à la façon des pionniers ou des personnages de Mark Twain.

 

Attirés par cette vie sauvage et sans contrainte, les deux personnages se déconnectent de la réalité et réinventent des règles et des raisons d'exister. C'est dans le portrait qu'il fait de ces personnages marginaux, perdus dans une société à laquelle il ne veulent pas appartenir, que Malick révèle et développe pour la première fois les thématiques qu'il explorera tout au long de sa filmographie. L'amour, la violence, la communion avec la nature et la fascination pour un état sauvage supérieur à tout ce que la civilisation peut apporter, tous ces sujets sont déjà en germe dans La Balade Sauvage.

 

Avec son second film, Malick s'intéresse à nouveau à une relation amoureuse compliquée. Les Moissons du Ciel nous raconte l'histoire de Bill et Abby, un couple pauvre mais heureux qu'un drame oblige à fuir Chicago pour le sud et les grandes plaines du Texas. Accompagnés de la petite sœur de Bill, ils sont embauchés comme moissonneurs par un riche fermier. Pour éviter les ragots, le couple se présente comme frère et sœur et cache aux autres leur liaison. Rapidement, le fermier tombe amoureux d'Abby et le mensonge devient de plus en plus lourd à porter pour la jeune femme. Bill, lui y voit une occasion de devenir riche, en laissant sa fiancée épouser son rival à la santé fragile et en héritant de sa fortune. Mais au gré des saisons le fermier se révèle moins malade qu'il n'y paraissait, les sentiments de chacun évoluent, et le triangle amoureux s'installe durablement.

 

Dans Les Moissons du Ciel, Malick met en scène un drame individuel pour mieux sonder la psyché humaine et mettre à l'épreuve le rêve américain. Comme dans La Balade Sauvage, l'innocence et l'harmonie entre les personnages sont corrompues petit à petit par des émotions irrépressibles : la haine, la lâcheté, la cupidité ou la jalousie. Pour donner une dimension universelle à cette histoire de passion contrariée, le réalisateur filme la nature environnante avec un lyrisme époustouflant. Il ponctue son film de visions de la faune et de la flore, et l'évolution des paysages au fil du temps devient une métaphore des transformations que vivent les protagonistes. De façon plus évidente que dans La Balade Sauvage, Malick laisse libre court à une sensibilité panthéiste qui prendra de plus en plus d'ampleur dans ses œuvres suivantes.

 

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Les Moissons du Ciel est aussi mémorable pour la beauté des images composées par Malick et son directeur de la photo Nestor Almendros. Pour obtenir une lumière parfaite, beaucoup de scènes ont été tournées à un moment précis de la journée, l'"heure magique" qui encadre le coucher du soleil. Si quelques minutes seulement pouvaient être tournées chaque jour, le résultat vaut bien le mal que l'équipe s'est donné. Une lumière douce et presque irréelle baigne chacun des plans et la reconstitution historique y gagne une réalité et une épaisseur rarement égalée depuis.

 

Entre son deuxième et son troisième film, Malick laisse vingt ans s'écouler. Vingt ans pendant lesquels le réalisateur se consacre à différentes choses, parcourt le monde, écrit et réfléchit à son prochain long-métrage. Après avoir longtemps hésité entre deux projets, il décide finalement d'adapter un roman de James Jones : La Ligne Rouge, qui raconte un épisode de la bataille du Pacifique pendant la seconde guerre mondiale. Plus qu'une simple fresque guerrière, La Ligne Rouge est une œuvre chorale, un pamphlet anti-militariste, une ode à la nature et à l'amour. Malick utilise le cinéma comme un outil pour développer les questions qu'il étudiait pendant ses études de philo, en particulier celles qui concernent l'être au monde. Pour la première fois, la voix off typique des films de Malick n'est plus confiée à un seul narrateur et ce qui n'était qu'un commentaire individuel dans ses deux premiers films devient un chant collectif, une polyphonie. Le récit ne se concentre pas sur un soldat en particulier, mais sur l'ensemble des combattants, réunis par l'uniforme et la voix off en un seul corps de souffrance et d'incompréhension.

 

Après vingt ans d'absence, le retour de Malick au cinéma a fait l'effet d'une bombe au sein de la profession. Beaucoup de grands acteurs hollywoodiens se sont précipités pour travailler avec lui. Si au final, le casting de la ligne rouge ressemble déjà à un caprice de cinéaste milliardaire, avec dans ses rangs Sean Penn, Adrian Brody, John Travolta, Jared Leto, Jim Caviezel, Woody Harrelson, Georges Clooney et j'en passe, d'autres grands noms du cinéma ont aussi participé au tournage mais leurs performances n'ont pas été conservées dans le montage final. Dans les rangs des disparus : Mickey Rourke, Billy Bob Thornton, Gary Oldman, Viggo Mortensen ou Martin Sheen. Il faut dire que le premier cut durait plus de 5 heures et que les deux monteurs ont travaillés pendant presque deux ans avant d'accoucher du montage de 170 minutes que l'on a pu découvrir en salles.

 

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La Ligne Rouge retranscrit parfaitement l'absurdité de la guerre et de la violence humaine avec précision, poésie, mais aussi un certain humour. Un cadre spectaculaire, quelques actes de bravoures, une galerie de star et un budget confortable finissent de faire de ce troisième long-métrage une vraie réussite et un film de guerre incontournable, au même titre que Full Metal Jacket ou Platoon.

 

Après le succès de La Ligne Rouge, Terrence Malick attends sept ans avant de tourner un autre film. Il se lance finalement dans une nouvelle reconstitution historique, mais remonte cette fois-ci très tôt dans l'histoire de son pays. Il revient pour ainsi dire aux origines, et aux premiers temps de la colonisation de l'Amérique par les européens. En revisitant l'histoire de John Smith et de la princesse Pocahontas, Malick met en scène l'affrontement entre deux modèles de pensée, deux civilisations et deux mondes. Comme toujours la nature est filmée dans toute sa majesté et les hommes dits civilisés apparaissent comme des enfants stupides qui se débattent sans succès pour donner un sens à leur existence. Face à eux, les indiens ont trouvé leur place dans le monde depuis longtemps, en parfaite adéquation avec leur environnement et leurs désirs. Cette figure idéale du bon sauvage telle qu'elle a été forgée au 18ème siècle, irrigue le long-métrage, mais Malick la mets à l'épreuve en se gardant bien de tout angélisme.

 

Si le film affiche comme toujours une photographie somptueuse et une ambition qui le distingue du tout venant des autres mélodrames en costumes, on peut voir malgré tout dans Le Nouveau Monde une certaine redite des précédents films du réalisateur. Les pratiques formelles et l'organisation de la narration sont similaires à ce que l'on pouvait voir dans Les Moissons du Ciel ou La Ligne Rouge et c'est plutôt dans les modification subtile du discours que réside l'originalité de ce Nouveau Monde.

 

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Voilà pour ce survol rapide et forcément incomplet de l'œuvre de Terrence Malick. Pour être un tant soit peu exhaustif, il faudrait parler ici de sa direction d'acteur et de sa capacité à magnifier ses comédiens, de l'utilisation qu'il fait des figurants ou de la musique, de son style qui s'adresse directement à l'affect sans passer par la raison ou l'intelligence, des fondations philosophiques qui soutiennent ses œuvres ou enfin de sa parenté artistique avec Stanley Kubrick, un autre réalisateur discret et génial qui aimait jouer avec les genres classiques du cinéma pour provoquer, bouleverser et interroger les spectateurs. Bref, de quoi écrire un livre ou deux sur le sujet...

 

À 67 ans, et alors que The Tree of Life vient de remporté la Palme d'Or au dernier Festival de Cannes, Terrence Malick a déjà terminé le tournage de son film suivant avec Ben Affleck, qui devrait sortir en 2012. En espérant que cette accélération dans sa production ne soit pas qu'un moyen de faire bouillir la marmite...

 

 

La critique de The Tree of Life.

 

 

Martin Griffault

 

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